Orange 1975 et Woodstock devint Français !
En toute franchise, le festival d’Orange en 1975, présenté comme le Woodstock Français, ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, tant les failles de l’organisation furent nombreuses. Il n’en reste, pas moins, qu’il doit être considéré comme un événement majeur et que les nombreux articles que la presse lui a consacré ont largement contribué au développement du rock en France. Pour cela, il faut prendre en considération, le contexte de l’époque. Pendant que la France se « giscardisait » autour d’un accordéon, une partie de sa jeunesse aux cheveux longs et aux pantalons en pattes d’éléphants était beaucoup plus attirée par les sons venus du Royaume Uni et des Etats Unis et aussi d’Allemagne avec des groupes comme Can, Amon Duüll, Tangerine Dream, Agitation Free etc.…
Les 15, 16 et 17 août 1975 eut donc lieu, avec pour cadre le théâtre antique d’Orange, le premier grand festival pop en France. Organisé par Wah Wah et sponsorisé par RTL, il faisait partie d’une immense tournée européenne avec de nombreux artistes. Pour des raisons obscures, le programme initial, qui devait comporter Lou Reed en tête d’affiche, fut non seulement amputé de sa vedette, mais aussi de nombreux autres groupes comme Rory Gallagher. Néanmoins, et malgré ces annulations, le programme de ces trois jours restait extrêmement attrayant avec pour le premier soir un groupe doté d’une flatteuse réputation Bad Company.
Il convient de préciser qu’à l’époque du festival d’Orange, je travaillais dans un magasin de disques à Bordeaux et que nous avions, au moment de la sortie du premier album de Bad C° l’année précédente, était conquis par le son novateur du groupe qui apportait une dimension nouvelle au hard rock. La vie à l’époque était beaucoup plus décontractée que celle si froide, et inhumaine que nous traversons actuellement et pour la modique somme de 120 Francs, j’avais acquis le passeport qui me donnait l’accès aux trois jours de festivité. Les concerts étaient programmés de 19 H à 2 H du matin les deux premiers soirs et de 17 H à 2 H le dernier soir avec une sono de 25000 watts venue directement de Los Angeles comme annoncée dans le programme officiel.
C’est à Jess Roden , à qui fut confié l’honneur d’ouvrir le festival dans une ambiance très seventies. Le set ne m’a pas laissé un grand souvenir, car j’attendais mieux de quelqu’un qui a joué avec les anciens membres des Doors que sont John Densmore et Robby Krieger. Puis vint Fairport Convention, qui fût le premier grand moment du festival avec, en particulier, l’interprétation de « Sloth » que nous retrouvons sur l’album » full house ». La foule qui remplissait le théâtre antique leur fit une immense ovation à l’issue de leur show et leur passage fût pour moi une véritable révélation. Puis vint John Cale avec Chris Speeding. Pour être franc, je n’ai jamais été fan de sa musique, et ce n’est pas son passage à Orange qui m’a fait changer d’opinion, car est ce l’abus des substances interdites ou une autre raison, toujours est il que son passage fût un véritable fiasco. Enfin vint le tour de Bad C° et je dois dire que la déception a été à la hauteur du niveau des espérances que j’avais mis en eux. Nos lascars avaient passé l’après midi à déguster les bons vins de notre pays et c’est dans un état d’ébriété avancé qu’ils se rendirent sur scène. Inutile de vous dire que le résultat fût calamiteux et que les sifflets accompagnèrent leur sortie. Heureusement que la soirée se termina par l’icône du Velvet Underground Nico qui nous a littéralement envouté avec la magie de son harmonium.
Le réveil du lendemain fût difficile, car nous avions dormi dans la voiture, faute de place dans les campings aux alentours, et c’est donc avec le corps bien courbaturé que je me rendis au théâtre antique pour le deuxième soir. Je passerai très vite sur la prestation de Zzebra et de John Martyn qui firent l’ouverture, car pour tout vous dire, je n’en ai pas le moindre souvenir tellement elles m’auront laissé indifférent, pour m’attarder plus longuement sur ce qui fût la révélation du festival : Dr. Feelgood. Le groupe reçut la plus grande ovation des trois jours tant son show mit le feu au théâtre antique. A titre personnel, j’avais adoré l’album sorti en janvier 1975 et intitulé « Down by the Jetty ». Son côté spontané et la pureté des rythmes de leur rock and roll m’avaient tout de suite conquis, mais de la à m’attendre à assister à un show aussi endiablé et énergique, il y avait un pas que je n’aurai surement pas franchi une heure avant leur show. 10000 personnes debout leur firent un véritable triomphe pour un show qui contribua grandement à leurs succès futurs. J’ai le souvenir d’une pause interminable avant que Procol Harum qui leur succédait ne monte sur scène. Et malgré la difficulté de se produire après un tel séisme, la formation de Gary Brooker enthousiasma le public avec, en particulier, une version du « beau Danube bleu » qui fit chavirer l’assistance. Ginger Baker et sa formation Baker Gurvitz Army qui leur succéda fut accueilli dans l’indifférence. Il est vrai que nous étions en droit d’attendre mieux d’un membre du légendaire groupe « Cream » Il était temps de conclure cette soirée avec un peu de calme et de musique planante sur laquelle l’effet des joints qui circulaient de partout, fit merveille. D’ailleurs, je ne peux m’empêcher de vous livrer une anecdote amusante, avant que Tangerine Dream ne rentre en scène pour clôturer cette soirée, un légionnaire (Orange est une ville garnison) qui assistait au concert depuis les rochers qui surplombent le théâtre antique reçut une formidable ovation lorsqu’il brandit le joint qu’il allait mettre à sa bouche. Tangerine Dream réussit parfaitement à amener le public vers les étoiles qui illuminaient le ciel lors de cette superbe nuit.
La fatigue commençait vraiment à se faire sentir en ce troisième jour. Outre une deuxième nuit passée à dormir dans la voiture, les problèmes d’alimentation commençaient à apparaître. La ville n’était pas équipée pour recevoir une telle foule pendant trois jours et trois nuits. C’est donc, dans un état second que je me rendais au théâtre antique pour le troisième et dernier soir et en plus entre temps, le bleu du ciel s’était évaporé pour laisser la place à des nuages menaçants. D’ailleurs, après la prestation plutôt insipide de Climax blues band, en ouverture de ce troisième soir, la pluie fit son apparition provoquant un certain désordre et une longue interruption qui m’empêcha d’apprécier comme il se doit la prestation de « Caravan » qui suivit car j’étais plus préoccupé à me sécher que d’écouter un groupe dont pourtant je raffole. Ayant pu retourner à la voiture, enfiler des vêtements secs, je revins juste pour les deux derniers morceaux de Soft machine, ce qui m’empêche d’avoir un jugement objectif sur leur passage. L’avant dernier groupe programmé était le Mahavishnu Orchestra de John Mc Lauglin. Malgré le récent départ de Jean Luc Ponty, sa formation composée de Narada Michael Walden, Stu Godberg et de Ralph Armstrong était prestigieuse et malheureusement dès les premières notes du premier morceau interprété la pluie redoubla et après une nouvelle interruption, le groupe décida de continuer son show pour une superbe prestation. A l’issue de celle-ci, il était temps pour moi de rentrer définitivement et de me mettre à l’abri, car j’était à nouveau trempé et que d’autre part, je n’ai jamais apprécié Wisbone Ash qui concluait ces trois jours.
Le bilan de ce festival reste donc contrasté avec des moments musicaux extraordinaires, mais aussi beaucoup de ratés dans l’organisation, qui gâchèrent un peu la fête. Cependant, ce festival eût l’immense mérite d’exister, de prouver que trois jours avec des hippies ( comme le dit dans la presse de l’époque) n’étaient pas synonymes de chaos et d’incidents puisque même les commerçants de la ville d’Orange, pourtant réticents à l’organisation de ce festival louèrent l’attitude de ces « jeunes » venus assouvir leur passion pour la musique et qu’aucun incident sérieux ne se produisit pendant ces trois jours de folie qui firent Woodstock devenir Français l’espace d’un moment.
Je ne voudrai pas conclure ce récit sans vous inciter à vous rendre sur le superbe site consacré au festival d’Orange 1975. Non seulement, vous trouverez des photos des trois jours, mais aussi le détail complet des morceaux interprétés par tous les groupes. Un travail admirable que je vous invite à faire connaitre autour de vous : www.orange75.pagesperso.orange.fr