UNE VILLE, UN FESTIVAL: BORDEAUX, SIGMA !

Cela peut paraître surprenant vu le désert culturel qu’est devenu Bordeaux depuis l’arrivée, il y a maintenant 21 ans de droit dans ses bottes, mais dans les années 60 et 70, cette ville, sous l’impulsion de l’ancienne municipalité, était réputée pour son innovation culturelle et constituait un véritable tremplin pour de nombreux artistes dont la carrière, à l’image de Bernard Lavilliers, dont nous avons déjà parlé ici même, a vraiment pris forme aux bords de la Garonne.

Des associations comme « le béret cosmique » œuvraient beaucoup pour le développement des différences tendances musicales de l’époque, mais une personne, aujourd’hui malheureusement disparue et à qui il est normal de rendre un hommage appuyé, s’est particulièrement investie à travers son festival Sigma : Roger Lafosse.

Quand il pénétra en 1965 dans le bureau de Jacques Chaban Delmas pour lui présenter son projet de festival de développement de l’art contemporain, cet érudit de jazz était certainement loin de se douter du séisme qu’il allait provoquer pendant trois décennies dans une ville qui ne demandait déjà qu’à s’ouvrir sur le monde extérieur contrairement à ce que certains affirment de manière honteuse aujourd’hui  et qui ont l’audace et l’outrecuidance de déclarer avoir tout inventé et que la ville n’existait pas avant eux. D’entrée, Chaban fut emballé par le projet et réussit le tour de force de le faire accepter par son conseil municipal malgré de nombreuses réticences.

D’abord cantonné dans de petites salles et axé sur le cinéma, le théâtre et bien sur la musique,  le festival Sigma pris véritablement son envol  vers la fin de la décennie 60 en présentant au public Bordelais les figures les plus marquantes de la contre culture américaine et européenne comme le Living Theater, le Barbwire Theater, les premières pièces d’Arrabal sans oublier Jerome Savary avec son immortel Grand Magic Circus. Sur le plan musical, là encore Roger Lafosse n’hésita pas à donner sa chance à Xenakis, Sun Ra et Pierre Henry pour un mémorable concert à l’Alhambra ou celui ci demanda à tous les spectateurs de se mettre en position allongée, qui était selon lui la seule adaptée à la perception de son œuvre. Mais c’est avec la venue d’un groupe, qui allait connaitre un succès mondial retentissant, que le festival gagna ses lettres de noblesse. Cette formation, peu connue lors de son passage, s’appelait  Pink Floyd. Trois années plus tard, le monde entier se les arrachait.

 Le jazz était plus qu’une passion pour Roger Lafosse, c’était toute sa vie. Très vite, il réussit à convaincre Chaban du besoin de déménagement du festival dans un site plus convivial et plus adapté à cette musique : Les entrepôts Lainé. Et en l’espace de quelques années, ce furent les plus grandes figures qui défilèrent tous les ans fin octobre dans notre ville. C’est ainsi que Miles Davis, Keith Jarrett, Chick Corea, Gato Barbieri, Stan Getz, Mc Coy Tyner et tant d’autres formations innovantes comme Magma et Soft Machine se produisirent sur les bords de la Garonne. Des chansonniers comme l’alsacien Roger Siffer nous présentèrent leur spectacle également aux entrepôts Lainé permettant aux spectateurs des concerts de jazz de terminer leur soirée sur une note festive et humoristique. Ainsi était Sigma, attendu tous les ans impatiemment par toute une ville. Rarement un homme aura marqué à lui seul son empreinte dans le domaine culturel et le nom de Roger Lafosse restera pour longtemps associé à l’innovation culturelle. La fin des années 80 marqua  le début du déclin de l’ère Chaban et le festival s’arrêta de lui-même en 1995, année de l’arrivée de droit dans ses bottes aux commandes de la ville.

Tout un symbole !

Ps : L’information est passée totalement inaperçue en France, mais les sites US nous informent du décès, la semaine dernière, à l’âge de 74 ans du grand guitariste Lonnie Mack dont l’influence se fit grandement sentir auprès d’Eric Clapton, Jeff Beck et bien d’autres. Nous y reviendrons samedi prochain dans la rubrique actualité.

                                                                                                                                           Frédéric.